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De quoi s’agit-il ?

 

Dans le cadre d’une crise de confiance sans précédent envers le secteur lucratif et de l’évolution du rôle des entreprises dans la société, nous assistons aujourd’hui à la redéfinition des attentes qui pèsent sur les entreprises. Force est de constater que la recherche de la lucrativité à tout prix ne semble plus être la clé de la réussite et de la pérennité de l’entreprise. Partout dans le monde, le modèle traditionnel de l’entreprise est remis en question, comme c’était le cas dans le « Rapport Attali ». La recherche de l’intérêt général ne semble plus réservé au secteur non-lucratif, ainsi dans notre pays les frontières bougent entre l’ESS et l’économie marchande traditionnelle avec l’entrepreneuriat social. Le rôle de la gouvernance est repensé par les universitaires, les consultants et au sein des conseils d’administration. La définition même de l’entreprise telle qu’elle est inscrite dans notre droit est remise en question.

 

D’un autre côté, le secteur non-lucratif touche parfois à ses limites dans un contexte économique particulièrement difficile. Pour certains, les obligations, qui l’encadrent, brident l’innovation et empêchent l’émergence de solutions nouvelles.

 

De nouveaux modèles d’entreprises émergent pour préparer l’avenir et répondre à ces défis. Ils ébranlent au passage les idées préconçues que nous pouvions avoir sur les entreprises commerciales et leur finalité. En voici quelques exemples.

 

Les avis des experts

 

Philippe-Henri Dutheil :

Aujourd’hui, le secteur lucratif considère que son rôle ne se résume pas uniquement à la recherche de lucre pour les associés et les actionnaires. Quatre pays travaillent sur des modèles alternatifs d’entreprises : les États Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Italie.

En 2010, l’état du Maryland aux États Unis a créé le statut de Benefit Corporation. Des sociétés à but lucratif qui ont intégrées une finalité d’impact social ou environnemental consubstantielle à la création de la structure. Pour ces entreprises la recherche de lucrativité devient secondaire. Quatre ans plus tard 29 autres états américains ont adopté ce statut.

Toujours aux États Unis, a été introduit le statut L3C pour Low-profit Limited Liability Company. Une entreprise hybride à l’objet social très marqué dont l’accès aux investissements est facilité. Structurellement cette société à capital voit ses profits limités. Son objectif n’est pas de maximiser ses dividendes, mais d’avoir des dividendes qui financent son objet social. Neuf états américains ont déjà adopté une législation de ce type.

Dans les deux cas, l’équilibre entre la lucrativité et un objet social d’intérêt général est assuré par la loi. Pour la Benefit Corporation, les entreprises doivent intégrer dès le départ l’impact social et environnemental dans leur objet social. Cet objectif se traduit par la mise en place d’indicateurs et de politiques d’évaluation en échange d’avantages particuliers pour accéder à l’investissement et aux marchés financiers.

 

Blanche Segrestin :

Aujourd’hui, le droit défini l’entreprise comme un flux d’investissements. Des gens mettent en commun des moyens et partagent ensuite des bénéfices ou des pertes, mais rien n’est dit par la loi sur les mécanismes créateurs de valeur. Cette focalisation sur la lucrativité trouvée dans le code du commerce a autorisé des interprétations qui ont mis l’accent sur la valeur actionnariale. Nous observons que ce schéma classique peut aller à l’encontre des performances des entreprises, par exemple en limitant les investissements en R&D sur le long terme. Pourtant la robustesse et la pérennité d’une entreprise découlent de cette capacité. Il en découle, en outre, un possible antagonisme entre la recherche de cette valorisation et d’autres objectifs de type social ou sociétal. Pour cette raison, nous avons souhaité réinterroger les cadres de gouvernance de l’entreprise et notamment le droit.

Nous avons repéré que dans plusieurs pays émergent de nouvelles formes de société qui allaient dans ce sens. Ces démarches permettaient d’instaurer à nouveau une dimension de projet d’entreprise dans le droit des sociétés. Historiquement des entreprises ont aussi essayé de le faire, comme Novo Nordisk , SA pharmaceutique danoise.

Ces formes ont été modélisées pour proposer un projet plus générique nommé la Société à Objet Social Étendu (SOSE). Ce statut reprend le concept d’objet social qui a aujourd’hui perdu de sa signification puisqu’il se réfère seulement à un domaine d’activité. Réinvestir cette notion, c’est réinvestir la fonction de l’entreprise. Ici, l’objectif pourrait être social ou environnemental mais aussi plus général comme un objet expansif ou innovant, par exemple le développement d’une nouvelle génération de médicaments. Cette dimension créatrice permet de repenser la fonction de l’entreprise au-delà de l’objectif lucratif.

L’idée est de demander aux associés de s’engager sur le long terme sur un modèle de développement. Pour remettre cet engagement en cause, il faudrait réunir des circonstances particulières comme une super-majorité d’actionnaires ou l’unanimité. Cette approche restaure la fonction dirigeante dans son rôle stratégique. Il ne s’agit plus de la théorie économique où le dirigeant se trouve au service des actionnaires. Il est ici investit d’un mandat créatif qui permet le progrès. Il développe les compétences, les métiers, les partenariats… Il élabore des stratégies nouvelles.

Dans ce cadre, la fonction managériale à un rôle important d’orientation de l’activité et de décision. Les parties prenantes font cause commune. Il s’agit de créer un engagement collectif autours du projet en instaurant un équilibre entre les intérêts de chacun et de la solidarité entre tous, tout en recherchant l’efficacité économique.

La liberté statutaire et contractuelle étant très fortes, des entreprises explorent déjà ces modèles de gouvernance en France, mais elles sont encore peu courantes et leur positionnement n’est pas toujours bien compris.

Cette réticence reflète la dichotomie instaurée par le droit qui oppose ce qui est lucratif à l’intérêt général et présente les dirigeants comme des mandataires sociaux. Nous proposons de le modifier pour proposer d’autres modèles aux futurs entrepreneurs et par là-même faire évoluer la conception de ce qu’est une entreprise au sein de notre société.

 

Recommandations du Think Tank

 

> Amorcer une réflexion au sein des cabinets ministériels sur les entreprises à lucrativité limitée.

> Interroger la finalité de l’entreprise, le profit est un moyen pour investir et développer une activité, il n’est pas un but en soi.

> Réformer le droit pour qu’il reflète le rôle étendu qui peut être joué par les entreprises.

> Favoriser le développement d’instruments et d’établissement financiers dédiés au développement de l’économie positive (exemple des Pays-Bas).

 

À lire

 

> La Société à Objet Social Étendu, de Blanche Segrestin, Kevin Levillain, Stéphane Vernac, Armand Hatchuel, Presse des Mines 2015

> Pour une économie positive, Jacques Attali, Julie Bonamy et Angélique Delorme, La documentation française, 2013

> Le site du gouvernement britannique dédié au CIC (en anglais) : https://www.gov.uk/government/organisations/office-of-the-regulator-of-community-interest-companies