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Après avoir bénéficié d’une couverture médiatique positive pendant plusieurs années au début de la décennie 2010, la philanthropie connaît, depuis 2017, davantage de remises en cause et de polémiques : présentation du don comme niche fiscale ou encore défiance à l’égard des riches donateurs, comme nous avons pu le constater après l’incendie de Notre-Dame au printemps 2019. Mais si certaines initiatives privées en faveur de l’intérêt général sont parfois critiquables, beaucoup de reproches sont le fruit d’une méconnaissance et/ou incompréhension de ce qu’est la philanthropie et de ce qu’elle apporte.

De manière générale, il nous semble possible de classer les critiques de la philanthropie en trois grands thèmes :

L’argument éthique

Cet argument est celui qui est le plus souvent utilisé contre la philanthropie. En acceptant les dons de certaines entreprises ou de certains donateurs, elle se rendrait coupable d’une forme de purpose washing. Si le sujet n’est pas nouveau, il est de nouveau mis en avant à l’heure où la responsabilité des entreprises et l’imposition des plus fortunés deviennent des sujets de société.

  • En ce qui concerne les motivations du donateur, celles-ci sont toujours multiples et rarement univoques (liées à son histoire, à ses opinions ou encore à ses croyances). En revanche, si elles s’appliquent à respecter la volonté de leurs donateurs, les associations restent contraintes par d’autres éléments : leur objet social, leurs bénéficiaires… Et doivent rendre des comptes sur l’utilisation des dons. « Dans ma pratique professionnelle, je vois d’abord des personnes animées d’un désir sincère de faire le bien et de bien le faire », souligne Stéphane Couchoux, avocat responsable du secteur “Fondations, Mécénat & Entreprises“ chez Fidal ; « nous les accompagnons dans la rédaction de charte par exemple. »
  • « Il m’est arrivé de refuser l’argent de certains donateurs, indique ainsi Daniel Bruneau de la fondation Petits Frères des Pauvres, parce que le donateur demandait à ce que son chèque soit utilisé pour “des français”. Notre doctrine a toujours été d’aider ceux qui en ont besoin, quel que soit leur origine ou leur religion. ». Donc oui, des associations se préoccupent de la question éthique quand il faut accepter ou non un don.
  •  Ce souci éthique peut rejoindre un enjeu stratégique. « Certaines associations refusent les dons de certaines entreprises ou qu’un donateur ait trop d’importance et font en sorte de limiter leur part dans la collecte globale de l’association », précise Daniel Bruneau.
  • Du côté des entreprises, la loi et la jurisprudence encadrent de façon claire les partenariats avec les organisations relevant de l’intérêt général et proposent plusieurs modes : le mécénat, le parrainage ou encore la vente de prestations.
  • Au fil du temps, les donateurs et les associations collectrices se sont dotés d’outils pour éviter l’écueil de comportements critiquables : Charte du Don en Confiance, charte d’Admical, de l’AFF. « La charte du mécénat d’entreprise va d’ailleurs être mise à jour dans un référentiel de déontologie suite à un travail de trois ans animé par Le Don en Confiance, avec l’IDAF, le Mouvement Associatif et les membres de la Coalition Générosité.», révèle François Debiesse, président de l’Admical.
  • « En tant que dirigeant d’association, je considère que je n’ai pas de morale à faire aux donateurs. Ma première responsabilité consiste à être garant des bonnes pratiques de mon organisation », objecte Daniel Bruneau.


Le rapport à l’État

Un lieu commun des critiques de la philanthropie est d’opposer le rôle de cette dernière (qui relève en effet de l’initiative privée) au rôle de l’État. Pourtant, cette critique ne résiste pas à l’épreuve des faits :

  • « Des associations, l’État, des collectivités territoriales, des entreprises mécènes, des philanthropes grands ou petits agissent souvent de concert en se regroupant autour de projets de territoires », illustre François Debiesse. Action de l’État et des philanthropes, loin d’être concurrentes, servent ainsi souvent les mêmes buts.
  • « La plupart des associations collectrices mènent également des actions de plaidoyer auprès de l’État et elles le font généralement pour réclamer son intervention », indique Daniel Bruneau. Sur les questions de pauvreté, de santé ou d’environnement par exemple, elles combattent ainsi le désengagement de l’État et le font… grâce à leurs donateurs. De nombreux philanthropes considèrent d’ailleurs l’adoption de la solution qu’ils financent par l’État comme leur but final.
  • De plus, avant d’opposer philanthropie et État, il faut constater que1 :

La philanthropie existe parce que l’État le permet et l’encourage : plusieurs pays dans le monde ne proposent pas d’avantages fiscaux liés au don, d’autres (souvent totalitaires) interdisent purement et simplement les dons. D’ailleurs, en France, les changements de majorité n’ont pas vu de différences notables dans le traitement de la philanthropie ;

L’État contrôle (Bercy…) les donateurs, les bénéficiaires, l’action des entreprises mécènes, l’action des associations et des fondations… ;

– Les moyens d’action des États demeurent très supérieurs aux moyens déployés par les entreprises mécènes, les donateurs et les philanthropes.

  • C’est d’ailleurs parfois grâce à la philanthropie que l’État s’intéresse à une cause et/ou décide de proposer des politiques répondant à des problématiques nouvelles et qu’il n’a pas forcément identifié au premier abord. Récemment, ce fut le cas de l’endométriose ou encore de certaines atteintes à l’environnement ou aux animaux.
  • Enfin, « la philanthropie, c’est notre part de liberté », confie Daniel Bruneau : encadrée par la loi dans ses objets mais instrument de pluralisme grâce à la liberté de choix qu’elle offre : causes, bénéficiaires et modes d’actions.


Rapport au capitalisme/aux inégalités/à la fiscalité

Le dernier principal reproche fait à la philanthropie est qu’elle serait un moyen de perpétuer les inégalités liées au modèle libéral. De plus, elle est accusée d’agir en s’appuyant sur une fiscalité qui amputerait l’État d’une partie de ses ressources.

  • S’il y a amputation, elle est modeste. Le coût des réductions d’impôt pour les dons des particuliers et des entreprises est de l’ordre de 5 milliards d’euros, à comparer aux 450 milliards d’euros de budget de l’État.
  • La lutte contre la fraude fiscale est évidemment un enjeu important mais, en tant qu’association « ce n’est pas notre job de vérifier » ce que font les donateurs grands ou petits, nous dit Daniel Bruneau. De plus, les acteurs de l’intérêt général ne sont pas outillés pour investiguer les pratiques de chacun de leurs donateurs.
  •  Une grande part des critiques faites à la philanthropie tient à l’avantage fiscal qui l’encourage (sans pour autant effacer son coût d’ailleurs). Un enjeu plus important est certainement de « rendre l’impôt plus pertinent et plus compris », convient Daniel Bruneau. De ce point de vue, la philanthropie comme forme d’imposition choisie permet de rendre ce sens à l’impôt.
  • D’ailleurs, l’État oriente et organise la philanthropie, en créant un avantage fiscal spécifique pour les dons faits aux associations d’aide aux plus démunis par exemple. « L’exclusion du régime du mécénat de certaines dépenses liées à la transition écologique interroge », note Stéphane Couchoux.
  • « Le livre blanc de la Coalition Générosité2 publié à l’occasion de l’élection présidentielle ne comporte aucune revendication portant sur les questions de fiscalité », souligne François Debiesse. Il est tourné vers le développement de la générosité et la mise en place d’actions en ce sens.



1MOOC de la FdF – Chaire philanthropie de l’ESSEC – Arthur Gautier et Anne-Claire Pache

2https://www.francegenerosites.org/livre-blanc-presidentielle-2022-accompagner-la-generosite-des-francais/