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Sous prétexte d’éventuelles distorsions de concurrence entre le secteur privé et les OBSL, le Gouvernement risque d’être tenté de remettre en cause les régimes dérogatoires des OBSL, alors même que de nombreuses améliorations pourraient encore leur être apportées.

Le régime fiscal des organismes sans but lucratif (OBSL) est à nouveau sur la sellette. Cette fois, c’est sous l’angle des éventuelles distorsions de concurrence entre le secteur privé et le secteur associatif. La menace vient du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a adressé, le 29 avril dernier, une lettre de mission d’analyse et de propositions sur la situation du secteur privé à but non lucratif aux députés Régis Juanico, Jérôme Guedj, Laurent Grandguillaume et Yves Blein. Leur rapport est attendu début septembre.

L’intérêt des pouvoirs publics pour le secteur des OBSL est patent au regard des économies fiscales qu’ils pourraient y trouver. Les travaux se succèdent à un rythme soutenu. La question de la territorialité des dons est en effet toujours à l’étude, le projet d’instruction de Bercy ayant reçu de très nombreuses objections du secteur associatif.

Les OBSL dans la ligne de mire de pouvoirs publics

A cet égard, le rapport de Gilles Bachelier, remis au Gouvernement en février et rendu public en juillet (1), pourrait clore le débat qui oppose l’administration fiscale et le secteur et combler un vide juridique inacceptable.

Le conseiller d’Etat conclut que la doctrine envisagée par Bercy ajoute à la loi et à la jurisprudence communautaire, de façon incompatible avec le principe de la liberté de circulation des capitaux. « Le bénéfice du régime fiscal du mécénat ne peut être subordonné à l’exercice d’une activité éligible en France », rappelle le conseiller d’Etat. « Cette position est la transposition pure et simple de l’arrêt Persche », se réjouit Stéphane Couchoux, avocat associé, responsable du secteur Mécénat & Fondations pour FIDAL.

De plus, pour les organismes exerçant leur action en dehors de l’UE ou de l’EEE, le rapport propose que le don soit éligible au regard de trois grands domaines d’action : l’humanitaire, la mise en valeur du patrimoine et de la culture française et, ce qui serait nouveau, la protection de l’environnement. L’éligibilité des actions conduites serait soumise à agrément, délivré pour 5 ans. Des dispenses d’agrément pourraient être prévues notamment pour les actions humanitaires entreprises d’urgence en raison de grandes catastrophes. Pour Stéphane Couchoux, « le rapport plaide pour une éligibilité élargie mais encadrée, les organismes devant être à même de démontrer qu’ils respectent des règles de territorialité », résume l’avocat. « Il semblerait que nous ayons été entendus, se félicite, Bernard Monassier, notaire à Paris, président honoraire du Groupe Monassier. Notre mobilisation a porté ses fruits ».

Autre point très positif : si le rapport Bachelier souligne le coût croissant des dispositifs d’incitation fiscale à la générosité du public, il souligne corrélativement la croissance des dons rappelant, s’il en était besoin, que « les organismes d’intérêt général conduisent des actions que l’Etat n’est plus en mesure d’assumer directement et qui demeurent essentielles tant elles contribuent au maintien de la cohésion du corps social alors que la crise économique aggrave les motifs d’exclusion des populations placées en situation de fragilité ». Pour Bernard Monassier, « les pouvoirs publics n’ont actuellement pas les moyens de prendre le relais de l’initiative privée. Cet aspect essentiel doit être dans tous les esprits lorsque le débat sur l’opportunité de la déductibilité fiscale des dons ressurgit », conclut le notaire. D’autant que, comme le rappelle Xavier Delsol, avocat associé du cabinet Delsol avocats, fondateur du Département « Organisations non lucratives » et de la revue Juris-Associations, « ce principe de déductibilité fiscale (ou réduction d’impôt) ne correspond en aucun cas à une « niche fiscale » mais seulement à la possibilité pour le donateur de choisir lui-même, partiellement et à condition d’ajouter un montant supplémentaire, l’affectation d’une partie de son impôt à des œuvres d’intérêt général ».

La remise à plat du régime fiscal des associations 

Le rapport commandé par le Premier ministre aux parlementaires pourrait aboutir à la remise à plat du régime fiscal des associations. Pourtant, bien que perfectible, le régime actuel issu de l’instruction du 15 septembre 1998 emporte l’adhésion. Il a mis fin à une vague de contrôles fiscaux et a clarifié la position des associations via notamment une vaste campagne de questionnaires fiscaux adressés au correspondant Associations des Directions des Services fiscaux compétentes.

Huit ans après, le 19 décembre 2006, Bercy a publié une nouvelle instruction afin d’actualiser sa position après des demandes de précisions émanant du Conseil National de la Vie Associative (CNVA). « La doctrine administrative a été encore affinée par la jurisprudence et aujourd’hui, l’on s’accorde à en trouver les règles équilibrées et pertinentes », indique Xavier Delsol.

Dans un tel contexte, est-il nécessaire de remettre à plat le régime des OBSL ? C’est la mise en place, le 1er janvier 2013, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), avantage fiscal dont sont exclues les OBSL, qui a relancé le débat. « Cela revient à ouvrir la boite de Pandore, craint Philippe-Henri Dutheil, Avocat associé, EY société d’avocats, responsable national du secteur OSBL. Le texte actuel, tout à fait adapté à la réalité des OBSL, ne soulève que des problèmes d’interprétation à la marge. Les contentieux se sont raréfiés ». Sur ces questions de fiscalité, les professionnels du secteur s’accordent à dire que les rapports entre le milieu associatif et l’administration se sont nettement normalisés.

Les pistes de réforme du Think Tank

Reste que l’instauration du CICE soulève une vraie question, selon Philippe-Henri Dutheil : « Comment faire pour que les associations en dehors du champ des impôts commerciaux ne soient pas moins bien traités que les acteurs du secteur marchand ? » De nombreuses pistes sont possibles. « En matière de taxe des salaires par exemple, au simple relèvement de seuil, il serait préférable d’envisager un relèvement de seuil et d’abattement par entités économiques propres et non pas par structures juridiques, une solution plus équitable que la règle actuelle », estime l’avocat.

En outre, la notion d’« activité lucrative » n’est pas toujours assez claire, de nombreuses associations ont du mal à appréhender le critère d’ activité « significativement prépondérante», plus complexe à appréhender que celui d’un seuil de 50 % d’activités lucratives ou non lucratives et qui mériterait d’être précisée.

Enfin, il serait opportun que la mission étudie les fameux liens entre les trois impôts commerciaux (IS, TVA et CET) de façon à les déconnecter les uns des autres. Quelle est la logique juridique qui lie l’assujettissement à la TVA, qui tient compte de la nature de l’opération à l’assujettissement à la CET et à l’IS qui tiennent compte de l’opérateur économique qui va supporter l’impôt ? L’administration opère un lien inexistant dans le Code général des impôts. Or, de nombreuses associations se trouvent limitées par ce lien artificiel.

Une pratique administrative qui limite la portée de la loi

Si en théorie, la France s’est dotée du régime de mécénat le plus favorable au monde, la pratique est tout autre. « L’administration refuse trop souvent et arbitrairement aux acteurs du secteur l’éligibilité aux différents régimes, pour des raisons parfois incompréhensibles et en tout cas contraires ou trop restrictives par rapport à l’intention du législateur, regrette Xavier Delsol. Un texte clarifiant les critères de Bercy serait bienvenu, au-delà de la seule question de la territorialité évoquée dans le Rapport Bachelier » ajoute-t-il.. « En contrepartie, le secteur non marchand pourrait être rationalisé par plus de transparence et de contrôle des bénéficiaires », avance Bernard Monassier.

« L’administration se refuse à préciser ou à actualiser sa doctrine en matière de mécénat qui remonte pourtant aux années 80 », ajoute Stéphane Couchoux et de poursuivre : « La France a changé depuis les années 80 ; une remise à plat des conditions d’application du dispositif mécénat est nécessaire au regard des enjeux sociétaux et des crises actuels. C’est à un véritable état des lieux socio-économique auquel il faudrait se livrer pour que le dispositif du mécénat réponde aux questions d’intérêt général. Ce serait une grave erreur que Bercy s’arqueboutte sur les seules considérations budgétaires pour définir ce dispositif ».

(1) Les règles de territorialité du régime fiscal du mécénat, Gilles Bachelier, février 2013