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De quoi s’agit-il ?

 

Les social impact bonds (SIB) ou titres à impact social sont un nouveau modèle de financement d’actions d’intérêt général (comme par exemple les actions sociales et environnementales) permettant à l’Etat de réaliser des économies, du moins dans un premier temps et aux investisseurs privés d’allier rendement financier et impact social. Ils ne constituent pas des obligations ou des instruments de dette traditionnelle car ils ne peuvent être vendus et leur rendement n’est pas garanti. Il s’agit de partenariats avec plusieurs parties prenantes qui financent une action d’intérêt général ou d’utilité sociale sous forme de contrats liant les investisseurs, les pouvoirs publics, un intermédiaire en charge de la transaction et un prestataire, le plus souvent une organisation sans but lucratif.

 

Le SIB est un outil utilisé pour favoriser des actions de préventions permettant à l’Etat et la collectivité de ne pas subir les coûts liés aux risques sociaux par exemple en finançant la politique de non-récidive des prisonniers (programme utilisé au Royaume-Uni), l’aide à la réinsertion des mères célibataires en Australie, l’insertion professionnelle des migrants en Belgique. En France, un groupe de travail sur l’investissement à impact social a été constitué en France dans le cadre de la Task force du G8. En septembre 2014, il a remis au gouvernement un rapport piloté par Hugues Sibille intitulé « Comment et pourquoi favoriser des investissements à impact social ? » qui établit notamment des préconisations pour adapter les SIB au contexte français.

 

Les investisseurs peuvent être des fondations, des fonds d’investissement, des établissements financiers, des associations caritatives, mais plus généralement des entreprises privées. Le remboursement de l’investissement est conditionné à la réussite du programme financé. Pour cette raison, son impact doit être mesuré par un évaluateur indépendant et les critères de l’atteinte des objectifs doivent être définis au préalable. Si ces derniers ne sont pas atteints les pouvoirs publics n’ont pas à s’acquitter du remboursement (SIB de type I) ou seulement en partie (SIB de type II), s’ils sont atteints le rendement est défini au préalable et ce, en fonction des résultats pouvant aller d’un simple remboursement à une rentabilité de 13 % par an dans certains cas.

 

Les avis du Think Tank

 

Valérie Aubier :

Les SIB regroupent une large diversité d’intervenants qui collaborent avec un objectif de résultat sociétal. Pour l’Etat, ils constituent un levier important aux dépenses publiques sociales en faisant un appel ciblé aux capitaux privés. En outre, ils encouragent une nouvelle forme d’intervention publique : ainsi les pouvoirs publics financent des résultats plutôt que de financer de façon récurrente des activités. Cette culture du « résultat » déplace les ressources de la réparation vers la prévention en encourageant les programmes qui anticipent et améliorent les problèmes avant leur survenance plutôt que d’agir après que les individus et la collectivité aient été affectés négativement. Dans ce cadre, certains organismes comme les mutuelles ou les fonds de retraite pourraient se servir de SIB avec un retour financier minimum pour financer des politiques de santé préventives.

Les SIB permettent également aux associations d’accéder à des ressources financières complémentaires pour démultiplier des actions sociales réussies. Ils récompensent l’investissement des acteurs sociaux qui collectent depuis des années des données sur le terrain et connaissent les facteurs de réussite des projets sociaux mais qui sont frustrés par le manque de moyens pour faire connaître et démultiplier ces actions. Les SIB permettent de financer à grande échelle la duplication d’initiatives qui ont montré un résultat probant à l’échelle expérimentale. En outre, en s’inscrivant dans la durée, les SIB assurent aux associations des revenus tout en encourageant leur approche rigoureuse avec des objectifs clairement établis.

Dans ce cadre, une réflexion doit être menée par les parties au contrat pour définir le cadre de l’évaluation qui doit être à la fois quantitative et qualitative. Il serait très utile de faire intervenir des universités ou des fondations, qui ont une grande expérience de l’évaluation sociale, au côté des agents traditionnels que sont les cabinets d’audit et de conseil. En outre, la mise en place d’un SIB nécessiterait de faire une évaluation préalable incluant notamment :

> l’analyse des types d’interventions prometteuses qui pourraient aboutir si des investissements pouvaient être réalisés ;

> l’analyse des coûts du secteur public et l’identification des économies qui pourraient être générées par des actions de prévention ;

> la confirmation que l’appel aux investisseurs sociaux est nécessaire en raison notamment du fait que les acteurs traditionnels de l’action sociale ne sont pas en mesure de collaborer ;

> l’évaluation du niveau de risque transféré aux investisseurs et le niveau de rendement financier qu’ils pourraient attendre en retour.

 

Dans la perspective de leur développement en France, les SIB permettraient de mobiliser de nouveaux moyens pour l’action d’utilité sociale et au titre des produits financiers d’apporter un complément aux investissements socialement responsables.

 

Philippe-Henri Dutheil :

J’ai un regard un peu plus critique sur les SIB et ce qu’ils sous-tendent. Aujourd’hui, les SIB sont principalement utilisés par des gouvernements qui ont décidé de ne plus financer ou non plus réellement les moyens de financer un certain nombre de politiques qui traditionnellement ressortent des décisions régaliennes.

Le contexte français est très différent, car nous avons une toute autre approche liée à la notion même de service public. Les principales politiques sociétales relèvent de la responsabilité de l’Etat qui peut éventuellement établir des délégations de service public auprès d’associations. Prenons l’exemple de la justice, je suis très interrogatif sur le fait que la puissance publique délègue à des opérateurs privés la lutte contre la primo-délinquance et la récidive dès lors que les SIB, tels qu’ils sont mis en œuvre, favorisent une approche quantitative et non qualitative. Les intervenants privés négocient, en effet, au maximum des objectifs facilement atteignables. Ainsi, la récidive est un indicateur peu satisfaisant, c’est beaucoup plus la réinsertion qui compte. Espérons qu’en France nous aurons un niveau d’exigence beaucoup plus élevé. Les préconisations du Rapport cité supra sont particulièrement pertinentes, même si je n’en partage pas toutes les conclusions. Les garde-fous proposés rendront les SIB acceptables dans un contexte français, en proposant notamment le recours à des SIB de Type II limitant d’une part, les risques pour les investisseurs et d’autre part, tempérant leur rémunération. Si ces préconisations étaient retenues, les SIB me semblent transposables.

Ce rapport propose aussi que les SIB servent d’outil de financement de l’innovation sociale en soutenant des projets dont on ne maîtrise que peu les chances de réalisation. C’est la direction prise par la Belgique où les SIB sont utilisés un peu comme un emprunt d’État. Les pouvoirs publics interviennent à tous les stades du projet pour l’orienter. Bien entendu, cette approche n’a d’intérêt que si les projets réussis sont pérennisés et généralisés.

La première initiative française a été lancée il y a quelques semaines. La manne publique est en train de se tarir et les banques ne pallieront pas la baisse des fonds public. Dans le cadre de la philanthropie, le SIB est le plus original, mais aussi le plus dérangeant, des outils à notre disposition.

 

Recommandations du Think Tank

 

> L’évaluation des résultats devrait se faire sur des critères non seulement quantitatifs mais surtout qualitatifs.

> Les SIB ne devront pas être utilisés pour combler la carence de politiques régaliennes inexistantes ou en recul. • Les risques financiers associés au SIB devront être encadrés en ayant recours au SIB de type II.

> Les SIB devront être prioritairement utilisés pour financer l’innovation sociale.

 

À lire

 

> Comment et pourquoi favoriser des investissements à impact social ? (septembre 2014), Comité français sur l’investissement à impact social, septembre 2014