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Après l’attaque de Charlie Hebdo, soutenir la presse et le pluralisme.

 

L’attaque de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, a profondément marqué les esprits rappelant tragiquement l’importance de la liberté de la presse et de son pluralisme. Au moment de l’attaque, le journal était en difficulté financière. Il a depuis reçu un soutien important sous forme de dons, principalement par l’intermédiaire de l’Association Presse et Pluralisme, et sous forme d’abonnements. Charlie Hebdo est cependant une entreprise de presse de forme capitaliste, elle distribue des dividendes et s’acquitte des impôts sur les bénéfices. Nous revenons sur les implications fiscales des dons faits à Charlie Hebdo, mais aussi plus largement sur les amendements visant à soutenir les journaux en difficultés en cours d’adoption dans le cadre du projet de loi pour la moderniser le secteur de la presse.

 

Les amendements

 

C’est devant le sénat qu’ont été adoptés deux amendements ayant pour but de soutenir les entreprises de presse. Ils ont depuis été repris et amendés en commission mixte paritaire avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication.

 

Un premier amendement, dit « amendement Charb », permet la défiscalisation des dons émanant de particuliers effectués au bénéfice d’association ou de fonds de dotation exerçant des actions concrètes pour le pluralisme de la presse d’information politique et générale. Il régularise une pratique jusqu’alors tolérée par l’administration fiscale en modifiant l’article 200 du code général des impôts.

 

Le second amendement prévoit une réduction d’impôts de 30% pour les particuliers qui prennent des participations dans un titre de presse d’information politique et générale, ce montant s’élève à 50% quand il s’agit d’une entreprise de presse solidaire. Cette somme est cependant limitée à 2 000 euros maximum.

 

Les avis du Think Tank

 

Bernard Monassier :

Presse et Pluralisme est une association qui récolte des dons pour soutenir la presse française et plus particulièrement les journaux en difficulté, certains de ces dons sont fléchés d’autres non. Soutenir la presse relève de l’intérêt général, parce que sans presse pas de liberté, c’est la raison pour laquelle j’ai participé à sa création.

Après l’attaque de Charlie Hebdo, Presse et Pluralisme a récolté des sommes importantes en soutien à ce journal provenant aussi bien de France que de l’étranger. Un problème se pose cependant, Charlie Hebdo est une entreprise comme une autre, compte tenu des ventes exceptionnelles que le journal fait actuellement, il sera largement bénéficiaire et paiera des impôts sur les dons versés. Soyons clairs, cette situation est absolument exceptionnelle et ne justifie pas un changement opportuniste de la loi, mais je la trouve un peu dérangeante.

Les amendements adoptés par le sénat et retenus par la commission mixte paritaire, sont positifs. Je mettrais cependant un bémol à cause du plafond de 2 000 euros mis à la réduction d’impôts quand on rentre au capital d’une entreprise de presse. Cette somme me semble faible. Je souhaite que ces amendements soient adoptés définitivement. C’est une bonne chose que les citoyens souhaitant soutenir le pluralisme de la presse y soient encouragés.

Je ne pense pas que le gouvernement ira plus loin pour le soutien de la presse, parce qu’il est dans une logique de limitation des dépenses et de suppression des niches fiscales. Mais sa position est encourageante puisque Fleur Pellerin, la Ministre de la culture, a accueilli favorablement ces amendements. Nous voyons ici se poursuivre le mouvement par lequel l’état n’a plus le monopole du soutien à l’intérêt général. C’est un signe important.

 

Xavier Delsol :

En principe faire un don à la presse n’ouvre pas le droit à la réduction d’impôt, puisque ces entreprises si elles sont d’intérêt général ont, pour autant, un but lucratif. Il existe une tolérance de l’administration fiscale qui a permis la création de l’Association Presse et Pluralisme. Elle ouvre la possibilité de faire des dons défiscalisés à hauteur de 66% pour les particuliers. Cependant, si la structure porteuse du journal est soumise aux impôts commerciaux, comme l’est Charlie Hebdo, les dons sont imposables en cas de bénéfices. Personnellement cela ne me choque pas, le don est fait pour permettre de combler un déficit, s’il y a un bénéfice il peut potentiellement se retrouver dans la poche des actionnaires. Je ne pense pas que cette perspective motive les donateurs. Charlie Hebdo est un cas heureusement exceptionnel. Le journal sera largement bénéficiaire en 2015 et à ce titre redevable de l’impôt y compris sur les dons. Je ne pense pas qu’il faille changer la loi sous le coup de l’émotion pour ce cas particulier.

En ce qui concerne les amendements votés au sénat et qui seront probablement adoptés définitivement dans les semaines à venir, le premier amendement prévoit des dispositions spécifiques pour les entreprises de presse. Les réductions fiscales sont plus élevées, que celles habituellement prévues par la loi, avec 30 % des versements et 50% pour les entreprises solidaires de presse. Je pense que cette mesure, si elle est louable, aura un impact limité. Elle concernera probablement une dizaine de journaux en France.

Pour moi, l’amendement qui régularise la défiscalisation des dons à des associations soutenant la presse a plus d’impact. Il permet d’inscrire dans la loi une pratique qui était tolérée. Cette disposition est particulièrement importante parce que les entreprises de presse ne recherchent pas spécialement à faire entrer des gens à leur capital. Je pense notamment à Charlie Hebdo où le nombre d’actionnaires est très limité. Je ne suis pas certain que ce journal souhaite avoir une myriade de petits porteurs. En outre, il me semble que c’est par le don qu’une majorité de citoyens souhaite soutenir la presse.

Ces deux amendements cumulés constituent une avancée positive. Je ne pense pas qu’il y ait besoin de prendre d’autres mesures pour aider la presse qui bénéficie aujourd’hui de nombreuses aides, des avantages postaux et fiscaux par exemple. Il nous faut garder à l’esprit que nous ne souhaitons pas non plus avoir une presse maintenue artificiellement en vie. Un journal doit avoir des lecteurs et doit pouvoir vivre de son activité. Ici, tout est une question de mesure.