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De quoi s’agit-il ?

 

Avant l’été 2012, le dispositif fiscal du mécénat d’entreprise a échappé aux velléités de Bercy de réduire l’économie d’impôt. Mais la remise en cause n’est que reportée et le secteur associatif doit être force de propositions pour éviter de subir une réforme pénalisante

 

Depuis quelque temps, le dispositif fiscal d’incitation aux dons effectués par les entreprises est dans le collimateur de Bercy. Dans le cadre de la seconde loi de Finances rectificative pour 2012 votée cet été, le nouveau ministre du Budget Jérôme Cahuzac, en quête de recettes pour l’Etat a envisagé de diminuer de moitié les avantages fiscaux du mécénat d’entreprise pour le budget 2013. La ministre de la Culture Aurélie Filippetti a sauvé le dispositif.

 

En cause, les dispositions issues de la loi du 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, du nom du ministre de la Culture et de la Communication initiateur du texte. Ce mécanisme permet aux entreprises de bénéficier d’une réduction d’impôt sur les sociétés (IS) ou d’impôt sur le revenu (IR) égale à 60 % du montant du don assorti de la possibilité de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants. Cette réduction est cependant plafonnée puisque les dépenses retenues ne peuvent excéder 5 ‰ du chiffre d’affaires total hors taxes de l’entreprise mécène (art. 238 bis du Code général des impôts – CGI)

 

Tout juste esquissé, le projet de réforme a suscité une levée de boucliers dans tous les secteurs bénéficiant de la philanthropie. Si le Gouvernement a reculé, il n’a pas pour autant renoncé à ses projets de remise à plat du dispositif. Pour le secteur, l’heure est à la vigilance et à la réflexion.

 

Le mécénat risque de devenir trop coûteux pour les entreprises

 

A l’origine de la réforme, une confusion préjudiciable : l’assimilation du dispositif mécénat à une niche fiscale. Or dans le cadre du mécénat, il n’existe aucune contrepartie à hauteur du don consenti. « La comparaison avec le régime du parrainage auquel les entreprises peuvent également recourir le démontre parfaitement », précise Xavier Delsol, avocat associé du cabinet Delsol avocats, fondateur du Département « Organisations non lucratives » et de la revue Juris-Associations.

 

Exemple : Si une entreprise consent une dépense de 100 pour une opération qu’elle parraine, son bénéfice imposable est réduit à hauteur de cette charge. Seul désagrément, l’actionnaire perd 100 -33,33% d’IS, soit 66,66 euros, c’est-à-dire la somme qu’il aurait pu percevoir en dividendes nets après impôt sur les sociétés si l’entreprise ne s’était pas livrée à cette dépense. Dans le cadre du mécénat, le calcul est un peu plus compliqué : la dépense mécénale de 100 euros doit d’abord être réintégrée comptablement au bénéfice imposable, car elle ne constitue pas une charge fiscale déductible. Le bénéfice fiscal subit ensuite l’impôt sur les sociétés avant application de la réduction d’impôt de 60 %, soit pour notre actionnaire un manque à gagner de 100 + 33% d’IS – 60 % de réduction d’impôt, soit 77,33 euros.

Si la réduction d’impôt devait être abaissée à 30 %, comme l’a envisagé Bercy, le manque à gagner s’élèverait à 103,33 euros pour l’actionnaire.

 

« Avec une telle réforme, le mécénat deviendrait bien trop coûteux pour l’entreprise, pour qu’elle continue à le préférer au parrainage », conclut l’avocat. L’impact serait direct sur produit de la collecte, des secteurs à la fois pourtant ultra sollicités et qui subissent déjà une baisse des dons en raison de la crise.

 

Une réforme inéluctable ?

 

Dans son rapport sur les niches fiscales de 2011, l’Inspection générale des Finances a jugé la réduction d’impôt sur les sociétés au titre des dons aux oeuvres ou organismes d’intérêt général « relativement efficiente » (1). Toutefois pour Stéphane Couchoux, avocat, spécialiste en droit et fiscalité des OSBL « la réforme du dispositif actuel semble inévitable ».

 

Face au déficit de l’Etat, la tentation est grande pour les pouvoirs publics de réduire les dépenses fiscales, et avec eux les avantages accordés au secteur associatif, alors même que ces acteurs sont de plus en plus sollicités. Rappelons à cet égard, qu’à l’automne dernier, un amendement introduit par le député Gilles Carrez, vivement combattu au sein du Think Tank et dans l’ensemble du secteur associatif, visait ainsi à intégrer dans le périmètre de plafonnement global des niches fiscales, la réduction d’impôt sur le revenu de 66 % accordée au titre des dons réalisés par les particuliers. « Ce projet n’est pas enterré, prévient Antoine Vaccaro, président de CerPhi (Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie). Et de même la réduction de 60 % consentie aux entreprises s’est installée dans l’esprit du législateur comme un avantage indu ».

 

Selon Bercy, les dépenses fiscales du mécénat pour 2011 s’élèvent à 420 millions d’euros et les dons correspondants à 697,6 millions d’euros (2). Des données inférieures à celles qui circulent dans le secteur associatif. En effet, «  ces chiffres ne sont pas calculés sur les mêmes bases, explique Antoine Vaccaro. Les statistiques d’Admical par exemple recensent tout aussi bien les dépenses de mécénat proprement dit que celles de bénévolat, du mécénat de compétence, des dons en nature non déclarés voire du parrainage ».

 

Être force de proposition

 

Ces enjeux posés, « mieux vaut accompagner la réforme plutôt que de devoir faire face à une réforme brutale et unilatérale, estime Daniel Bruneau, Directeur de la recherche des fonds et de la communication, des petits frères des Pauvres. Nous devons refuser la politique de l’autruche et engager la discussion »

Quelles sont les marges de manoeuvre du secteur lors de ces futures discussions avec le pouvoir public ?

 

Première piste envisagée : le relèvement du plafond de 5 ‰ exploré par un rapport parlementaire de février 2012 (3). « Si les grandes entreprises dans leur immense majorité atteignent rarement ce plafond, précise Stéphane Couchoux, il est très dommageable à l’action mécénale des plus petites entreprises. Pour ma part, je plaide pour une modulation de ce plafond en fonction du chiffre d’affaires, afin de pouvoir réserver un plafond plus élevé à l’action des TPE PME ». Ce remaniement du plafond correspond également à la position défendue par l’ancienne députée Muriel Marland Militello dans son tout récent livre blanc sur la générosité (4).

 

Deuxième piste de réflexion : agir sur le taux de la réduction d’impôt du dispositif mécénat. Selon Daniel Bruneau, « une baisse immédiate de la réduction d’impôt de 60 % à 30 % constituerait une catastrophe pour le secteur. En revanche, une réduction à 50 % échelonnée de façon progressive sur plusieurs années nous donnerait la possibilité de nous préparer à une baisse des dons des entreprises et à envisager d’autres relais financiers ».

 

Autre possibilité : réserver le taux de 60 % pour certains bénéficiaires privilégiés et soumettre les autres à un taux de droit commun de 50 %. « Une mesure qui aurait le mérite de mettre en lumière une reconnaissance particulière de l’Etat à certains organismes, comme c’est déjà le cas par exemple pour le régime juridique des legs où les organismes reconnus d’utilité publique (5) bénéficient d’une capacité plus large et de l’exonération des droits de succession et donation, considère Daniel Bruneau. La reconnaissance d’utilité publique ou assimilée me paraît être un bon critère pour différencier deux taux de réduction différents. Attention en revanche à ne pas sectoriser la notion d’intérêt général en la réservant expressément à certaines activités et en la refusant aux autres », conclut-il.

 

Dernière piste de réflexion : repenser entièrement la notion même de mécénat. « Lorsqu’elles s’engagent dans la voie de l’intérêt général, les entreprises ne se fondent pas prioritairement sur des motivations fiscales », avance Stéphane Couchoux. Tous leurs projets ne s’intègrent d’ailleurs pas dans ce dispositif, car Bercy en fait une interprétation restrictive comme en témoigne sa position sur la territorialité des dons.

Selon l’avocat « repenser la notion d’intérêt général au regard des enjeux sociétaux actuels, assouplir la doctrine de l’administration fiscale, permettre à l’entreprise mécène de déduire la dépense mécénale comme une charge de son résultat fiscal, sans pour autant assujettir à l’impôt cette ressource financière du côté de l’entreprise bénéficiaire, voilà à mon sens une belle piste de réforme ».

Dans tous les cas, conclut Xavier Delsol, « il apparaît indispensable de mieux redéfinir et préciser clairement le champ des organismes et surtout des activités éligibles au régime du mécénat, l’Administration fiscale ayant désormais une interprétation excessivement restrictive des textes du code général des impôts sur ces points, en cherchant, en quelque sorte, à reprendre d’une main ce que le législateur avait utilement voté en la matière ».

 

 

 

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(1) Rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011, http://www.igf.finances.gouv.fr

(2) http://www.centre-francais-fondations.org

(3) Rapport d’information n°4358 présenté par Michel Herbillon, en conclusion des travaux de la mission sur les nouvelles formes du mécénat culturel, www.assemblee-nationale.fr

(4) Livre blanc parlementaire « Libérer les générosités associatives », Muriel Marland-Militello, http://marland-militello.fr, Juin 2012

(5) Leur sont assimilées les associations de bienfaisance, de recherche médicale et scientifique, les associations cultuelles, les congrégations…