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Favoriser les dons et donations, c’est à la fois pérenniser les ressources
des fonds et fondations et transmettre l’envie de donner.

  

Une philanthropie efficace ne peut s’envisager sans un cadre juridique et fiscal qui l’encourage et la soutienne, notamment en matière de successions et donations. Dans un contexte d’augmentation continue de l’espérance de vie, deux raisons majeures doivent inciter à faire évoluer les textes en la matière afin de pérenniser les ressources des fonds et fondations et de diffuser une culture du don.

Une raison démographique tout d’abord. Parmi les générations issues du baby-boom, les décès n’auront de cesse d’augmenter dans les années à venir, conduisant mécaniquement à la hausse des montants transmis d’une génération à l’autre. Ainsi, selon un rapport de France Stratégie (Peut-on éviter une société d’héritiers ?), ces montants représenteraient aujourd’hui près de 19% du revenu des ménages, et entre 25 à 30% d’ici 2050, contre seulement 8% voilà 35 ans (soit un passage de 60 à 250 milliards d’euros constants depuis 1980).

Une raison économique ensuite. Depuis les années 90, du fait de l’appréciation de l’immobilier notamment, le patrimoine des Français a augmenté plus vite que les revenus, et de manière concentrée au sein des ménages les plus aisés. Ainsi, la valeur du patrimoine des Français équivaut aujourd’hui à près de 8 ans de leur revenu disponible net, contre une moyenne de 4,5 ans en 1980.

Dans le contexte actuel de croissance atone, la hausse des montants transmis porte le risque d’accentuer fortement la reproduction sociale, les mérites de l’individu important moins dans la constitution de son patrimoine, que le total des héritages perçus. L’augmentation de l’espérance de vie conduit alors à des héritages toujours plus tardifs, au détriment des jeunes générations, mettant à mal tant le dynamisme économique que l’accès à la démarche de don.

Eviter que l’héritage d’un fort patrimoine, à un âge avancé et par une partie restreinte de la population, ne vienne accroitre encore davantage les inégalités, tel pourrait être l’enjeu de la fiscalité à venir pour France Stratégie. L’organisme rattaché à Matignon a ainsi préconisé plusieurs mesures de réforme du régime fiscal dans un sens plus redistributif et égalitaire :

  • une modification des règles d’abattement, afin de favoriser les transmissions de patrimoine plus précoces ;
  • une taxation, non pas de l’héritage suivant un décès, mais du patrimoine total perçu par l’héritier au cours de sa vie. Ce taux de taxation augmenterait ainsi en fonction du montant de patrimoine hérité, quelle que soit l’origine et le degré de parenté. L’objectif est ici de répartir de manière plus diversifiée le patrimoine transmis aux nouvelles générations ;
  • une dotation universelle de patrimoine. Versée par l’État, financée par une partie des recettes sur les transmissions, elle permettrait à chaque individu entrant dans la vie adulte de bénéficier d’un capital de départ.

L’impôt, tel que présenté ici par France Stratégie, perdrait cependant ainsi sa vocation première, puisqu’il représenterait dès lors plus un outil de redistribution égalitariste qu’une contribution économique pour l’intérêt général. La question est pourtant davantage de permettre une meilleure fluidité dans la circulation monétaire entre les générations, au service du dynamisme économique et de l’utilité sociale, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Favoriser les dons et donations, c’est à la fois pérenniser les ressources des fonds et fondations et transmettre l’envie de donner.

Certains outils juridiques rendent déjà possible, dans une certaine mesure, la redistribution du patrimoine, par la renonciation anticipée à l’action en réduction par exemple (RAAR), mais restent peu utilisés car trop méconnus par les contribuables. D’autres outils, comme la donation temporaire d’usufruit (DTU), participent également au renforcement des ressources des fondations et mériteraient une utilisation plus large encore.

Les incitations et déductions fiscales ont, quant à elles, fait leurs preuves comme leviers efficaces du dynamisme économique et de la valorisation d’une culture du don. Elles visent avant tout l’efficacité dans la redistribution, plus qu’elles ne suivent une logique égalitariste. Il s’agit dès lors par ce biais renouvelé de stimuler les donations intergénérationnelles, et le plus tôt possible. On remarque en effet que donner est une habitude qui se prend tôt, dès avant 30 ans : plus on commence à donner tard, moins on donne.

Réformer le système successoral français, pour un meilleur dynamisme économique et une plus grande utilité sociale des donations, pourrait passer par la solution radicale de la suppression des droits de succession en ligne directe. La difficulté politique de l’entreprise, notamment via la modification de « principes ancestraux » repris par le Code Civil, incite surtout à proposer des améliorations de l’existant. Toutefois, les évolutions proposées ne cherchent pas à renverser l’équilibre fiscal lors de transmissions de patrimoine par une plus grande taxation, mais veulent inciter au don. Par ailleurs, c’est moins d’un quart des legs aux fondations qui sont concernés par la présence d’enfants dans la succession.

S’appuyant ainsi sur les observations et propositions des acteurs du secteur philanthropique – notamment le CFF dans son Livre Blanc de mars 2017, l’avocat fiscaliste Me Xavier Delsol (DELSOL Avocats), ainsi que sur divers travaux menés par des experts composant notre cercle de réflexion – le Think Tank de la Philanthropie propose de redynamiser la transmission en France à travers plusieurs pistes de réflexion :

  • l’exonération des droits de mutation lors de transmission de patrimoine des générations détentrices vers les jeunes actifs (dès lors que les revenus de ce patrimoine bénéficient pendant une période restant à déterminer, mais par exemple de 15 à 20 ans à une œuvre d’intérêt général) ;
  • la non soumission des donations consenties au moins 10 ans avant le décès du donateur au respect de la quotité disponible (qui fragilisent actuellement les revenus des fondations par les contestations possibles) ;
  • la facilitation de la détention, par les fonds et fondations, de titres de propriété d’entreprises, afin de pérenniser les ressources de ces structures ;
  • la réduction de la réserve héréditaire (et donc l’élargissement de la quotité disponible pour un testateur) afin de permettre le bénéfice de plus de déductions fiscales lors de transmission de patrimoine à des fondations (dans des situations spécifiques telles que des problèmes de gouvernances familiales ou des transmissions d’entreprises). Une modification de l’article 915 du Code Civil en ce sens, quoique politiquement difficile, pourrait être envisagée. Cela avait notamment été suggéré dans une proposition de loi de la sénatrice Marie-Hélène Des Egaulx du 11 juillet 2011, « visant à concilier philanthropie et droit des successions ».

L’enjeu est ainsi, sans aller jusqu’à la suppression des droits de succession en ligne directe, d’apporter des améliorations aux outils juridiques dans une logique d’efficacité́ de la redistribution au service de l’intérêt général. Il est néanmoins important de préciser que ces propositions ne sont pas unanimement portées par l’ensemble des membres du Think Tank de la Philanthropie.

Au-delà du caractère concret de ces propositions, du débat juridique qu’elles peuvent susciter, le sujet central doit rester la promotion et la stimulation du don entre les générations, la diffusion d’une culture de la transmission.