La taxation des plus-values : des pistes de réforme pour la fiscalité de la philanthropie ?

De quoi s’agit-il ?

 

Conformément à l’article 885-0- V bis A du Code Général des Impôts (CGI), les redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui effectuent un don au profit d’un établissement de recherche ou d’enseignement supérieur ou artistique, d’une fondation reconnue d’utilité publique (FRUP), d’une entreprise d’insertion, d’une entreprise de travail temporaire d’insertion, d’un atelier, chantier d’insertion bénéficient d’une réduction d’impôt de 75 % du montant des sommes données dans la limite de 50 000 euros par an.

 

L’article 150 duodecies du CGI dispose qu’en cas de donation de titres cotés ouvrant droit à la réduction ISF, le gain net correspondant à la différence entre la valeur des titres retenue pour la détermination de l’avantage fiscal et leur valeur d’acquisition est imposé à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux, lors de la donation.

 

L’administration a commenté ces dispositions (BOI 5 C-4-08, n° 61 du 9 juin 2008), précisant que la fait générateur de l’imposition est constitué par le transfert de propriété juridique des titres, en pratique à la date de l’acte authentique ou sous seing privé constatant le transfert de pratique ou à défaut, à la date du transfert des titres du compte du donateur à celui du donataire. L’administration a en outre précisé que ces dispositions ne s’appliquent pas aux dons de titres démembrés qui n’ouvrent pas droit à une réduction d’ISF.

 

Les avis du Think Tank

 

Sandrine Quilici :

La taxation des plus-values n’est pas négligeable pour le donateur, puisqu’elle s’élève à 34.5 % (19 % d’impôt et 15,5 % de prélèvements sociaux). En outre, cette imposition s’applique dès le premier euro de plus value, puisque la notion de seuil annuel de cession prévu à l’article 150-0 A I, 1° du CGI a été supprimée. Du point de vue des principes, cette imposition est choquante. En effet, l’article 150 duodecies du CGI crée ex nihilo un fait générateur d’imposition alors même que, contrairement à la réduction ISF PME, la réduction ISF Don n’offre aucune contrepartie au contribuable qui se dépouille de manière irrévocable et définitive. Or, en matière de fiscalité française, lorsqu’une opération ne génère aucune contrepartie financière, le contribuable n’est soumis à aucune taxation et s’il y a un espoir de contrepartie, l’impôt est perçu plus tard grâce à des mécanismes de sursis, report ou autre paiement différé. C’est pourquoi, dans le cas d’une mutation à titre gratuit, aucune plus ou moins-value n’est constatée au moment de la transmission. Cette taxation des plus-values prévue par l’article 150 duodecies du CGI constitue donc une exception dans notre système fiscal que rien ne peut justifier et dont la conséquence désastreuse est qu’elle décourage le philanthrope désireux de faire un tel don.

 

Bernard Monassier :

En matière de donation de titres de participation, notre loi fiscale crée une double distorsion selon que les titres sont cotés ou non cotés. Cette distorsion n’apparait pas toujours car le plus souvent nous réalisons, nous notaires, plutôt des donations de titres en nue-propriété.

Les donations et successions sont régies par un principe de base qui existe depuis des décennies : ces mutations à titre onéreux purgent les plus-values latentes sur les biens donnés. En contrepartie, elles génèrent des droits de mutation à titre gratuit. La solution reste inchangée en l’absence de paiement effectif de droits, soit que le bénéficiaire bénéficie d’un abattement, soit parce que la mutation est exonérée.

Pourtant, la loi réserve un traitement spécial aux titres de sociétés cotées. En effet, l’article 150 duodecies du CGI dispose que la donation de titres cotés à une fondation reconnue d’utilité publique ne purge pas les plus-values lorsque ce don est utilisé dans la cadre de la réduction ISF don de l’article 885 0 V bis A du CGI. La plus-value est donc dans ce cas imposable à l’impôt sur le revenu entre les mains du donateur. La justification de cet impôt est difficile à comprendre par le contribuable qui se dépouille. D’un autre côté, il est impossible de donner des titres non cotés et de bénéficier de la réduction ISF.

Le donateur a donc le choix suivant : donner des titres cotés éligibles à la réduction ISF mais payer un impôt sur la plus-value, ou donner des titres non cotés, écartés de la réduction ISF mais expurgés de plus-values.

Les fondations ont davantage besoin de portefeuilles boursiers que de participations en private equity. Et les donateurs disposent davantage de titres cotés que de titres non cotées. La justification de cet impôt est pour le contribuable qui se dépouille est difficile à comprendre.

 

Frédéric Grosjean :

Un autre aspect du régime des plus-values peut frapper : les contribuables qui réalisent des plus-values, mobilières ou immobilières, ne disposent d’aucun dispositif spécifique de réduction de l’impôt. Cela me semble dommageable pour les organismes donataires. Au regard de l’alourdissement actuel de la fiscalité notamment avec la réforme des plus-values immobilières qui a modifié les règles d’abattement pour détention, pourquoi ne pas imaginer que le législateur prévoit une réduction d’impôt pour don dans ce cadre spécifique ? La donation serait effectuée en même temps que la réalisation de la plus-value. Le notaire chargé de dresser l’acte de vente pourrait acter cette donation dans un acte séparé daté du même jour et déduire du montant de la plus-value réalisée, un pourcentage des sommes données. L’impact de cette réforme a été important pour les détenteurs de biens immobiliers. C’est l’occasion d’encourager les dons à travers une mesure fortement incitative, qui permet de partager l’enrichissement matérialisé par la plus value constatée. Reste à espérer que le législateur s’empare d’une telle idée.

 

Stéphane Couchoux :

Il est vrai que la réduction d’impôt sur le revenu au titre des dons (art. 200 du CGI) ne permet de réduire que l’imposition des revenus entrant dans le barème progressif. Le texte renvoie en effet à la notion de « revenu imposable » pour limiter la prise en compte des dons. Or, le revenu imposable ne comprend pas stricto sensu les plus-values soumises à une imposition à un taux proportionnel. Dès lors, les contribuables qui n’ont pour seuls revenus au sens large que des plus-values, ne peuvent bénéficier de la réduction d’IR de l’article 200 du CGI. Aucun dispositif équivalent n’existe pour diminuer la taxation des plus-values au taux forfaitaire. L’idée d’étendre un mécanisme de prise en compte des dons aux détenteurs exclusifs de plus-values est tout à fait innovante La solution pourrait consister, dans cette hypothèse, à donner la possibilité au contribuable d’opter pour la taxation de la plus-value en capital dans le barème progressif de l’IRPP pour lui permettre de bénéficier de la défiscalisation à 66% de son IR au titre du don représentatif de cette plus-value.