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De quoi s’agit-il ?

 

Face à la crise que subit la philanthropie française, un regard dans le passé s’impose. Les vertus éclairantes de l’histoire et leur analyse sont autant d’atouts dont il serait dommageable d’ignorer. Plongée dans les fondements idéologiques de la philanthropie.

 

Pour rappel, sous l’Ancien Régime, l’œuvre philanthropique était le propre de l’Eglise catholique et des institutions ecclésiastiques, et le fait de la noblesse, donateurs à ces institutions. C’est à la Révolution française, que la situation a changé.

 

La concurrence de l’Eglise

 

Selon Bernard Monassier, notaire, président honoraire du Groupe Patrimoine&Entreprises, la première cause est d’ordre budgétaire. « Il s’était créé un patrimoine important entre les mains de l’Eglise, des évêchés et des confréries religieuses. Ces biens dits de « mainmorte » ne se transmettaient plus et constituaient une menace pour l’Etat en ce que leur immobilisation n’engendrait plus la perception de droits d’enregistrement ».

 

Parallèlement, dans leur réflexion économique les révolutionnaires – et parmi eux les physiocrates – prônaient la circulation des biens et des marchandises. A cet égard, l’immobilisme des biens de mainmorte ne participait pas à création de richesse. « Ces arguments énoncés à l’époque par Turgot, Mirabeau ou encore Necker sont restés très actuels », considère le notaire.

 

Il ne manquait qu’une impulsion politique, qui intervint sous la Révolution, avec l’appropriation par l’Etat de la protection de l’intérêt général. « Depuis Louis XIV, l’Etat a sans cesse chercher à se libérer de la toute puissance de l’Eglise. En s’autoproclamant garant de l’intérêt général, il put réorienter les dons vers lui et affaiblir l’Eglise. Enfin, les Jacobins ont fait triompher l’idée que l’Etat est l’alpha et l’omega de la société, seul garant de l’intérêt général et donc de sphères comme l’éducation ou la santé ». Cette doctrine s’est traduite en 1905 par la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

 

Aujourd’hui, l’inconscient collectif français continu de considérer que l’Etat doit être le seul juge de l’intérêt national. Méfiant face à l’émergence de contre pouvoirs, il se distingue de l’esprit anglo-saxon qui prône un Etat minimaliste et l’initiative privée.

 

1959 : Une première délégation, sous contrôle

 

C’est au début de la Ve République que le monopole de l’Etat a subi une première brèche, dans un domaine régalien par excellence : l’éducation. En 1959, la loi Debré instaure un système de contrats entre l’Etat et les écoles privées : si celles-ci respectent les normes d’enseignement de l’Etat, celui-ci contribuer alors à leur financement. « L’Etat délègue par nécessité et non par idéologie, explique Bernard Monassier. Ce même besoin d’étend ensuite à la dépendance, le handicap, la recherche, les arts, etc… Sous l’influence anglo- saxonne, la France a progressivement mis en place une législation tout à fait performante mais que les personnalités politiques à tendance jacobine assimilent à des niches fiscales car elles refusent la délégation, même sous contrôle ».

 

Les questionnements actuels

 

La question de la délégation se pose avec acuité aujourd’hui car les caisses de l’Etat sont vides. Le débat doit être posé en ces termes : quelle est la nécessité de laisser l’Etat seul maître de l’intérêt général. Est-il le plus à même de gérer efficacement des actions de recherche, de mécénat, de terrain ? L’action de l’administration est-elle adaptée ?

 

Pour Bernard Monassier, tout retour en arrière paraît impossible. « L’Union européenne ne repose pas sur des principes jacobins, rappelle-t-il. En revanche, elle n’exclut pas l’Etat de sa fonction de régulateur. Or, la délégation ne peut aller sans contrôle de la fonctionnalité, de la qualité et de la bonne gestion financière. Par exemple : est-ce que telle école sous contrat n’est pas entrain de se transformer en secte ? »

 

Des personnalités de tous bords politiques y ont répondu et ont donné vie à leur conviction. Coluche, Michel Charasse, Jean-Jacques Aillagon, et avant eux André Malraux – tout aussi jacobin qu’il fut – ont parié avec succès sur le secteur privé pour la solidarité, l’art ou encore la rénovation des centres villes. « Michel Debré le premier pensait que sa loi n’était qu’une exception. En réalité, elle fut une révolution suivie d’effets » conclut le notaire.