De quoi s’agit-il ?

 

Les social impact bonds (SIB) ou titres à impact social sont un nouveau modèle de financement d’actions d’intérêt général (comme par exemple les actions sociales et environnementales) permettant à l’Etat de réaliser des économies, du moins dans un premier temps et aux investisseurs privés d’allier rendement financier et impact social. Ils ne constituent pas des obligations ou des instruments de dette traditionnelle car ils ne peuvent être vendus et leur rendement n’est pas garanti. Il s’agit de partenariats avec plusieurs parties prenantes qui financent une action d’intérêt général ou d’utilité sociale sous forme de contrats liant les investisseurs, les pouvoirs publics, un intermédiaire en charge de la transaction et un prestataire, le plus souvent une organisation sans but lucratif.

 

Le SIB est un outil utilisé pour favoriser des actions de préventions permettant à l’Etat et la collectivité de ne pas subir les coûts liés aux risques sociaux par exemple en finançant la politique de non-récidive des prisonniers (programme utilisé au Royaume-Uni), l’aide à la réinsertion des mères célibataires en Australie, l’insertion professionnelle des migrants en Belgique. En France, un groupe de travail sur l’investissement à impact social a été constitué en France dans le cadre de la Task force du G8. En septembre 2014, il a remis au gouvernement un rapport piloté par Hugues Sibille intitulé « Comment et pourquoi favoriser des investissements à impact social ? » qui établit notamment des préconisations pour adapter les SIB au contexte français.

 

Les investisseurs peuvent être des fondations, des fonds d’investissement, des établissements financiers, des associations caritatives, mais plus généralement des entreprises privées. Le remboursement de l’investissement est conditionné à la réussite du programme financé. Pour cette raison, son impact doit être mesuré par un évaluateur indépendant et les critères de l’atteinte des objectifs doivent être définis au préalable. Si ces derniers ne sont pas atteints les pouvoirs publics n’ont pas à s’acquitter du remboursement (SIB de type I) ou seulement en partie (SIB de type II), s’ils sont atteints le rendement est défini au préalable et ce, en fonction des résultats pouvant aller d’un simple remboursement à une rentabilité de 13 % par an dans certains cas.

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De quoi s’agit-il ?

 

Dans le cadre d’une crise de confiance sans précédent envers le secteur lucratif et de l’évolution du rôle des entreprises dans la société, nous assistons aujourd’hui à la redéfinition des attentes qui pèsent sur les entreprises. Force est de constater que la recherche de la lucrativité à tout prix ne semble plus être la clé de la réussite et de la pérennité de l’entreprise. Partout dans le monde, le modèle traditionnel de l’entreprise est remis en question, comme c’était le cas dans le « Rapport Attali ». La recherche de l’intérêt général ne semble plus réservé au secteur non-lucratif, ainsi dans notre pays les frontières bougent entre l’ESS et l’économie marchande traditionnelle avec l’entrepreneuriat social. Le rôle de la gouvernance est repensé par les universitaires, les consultants et au sein des conseils d’administration. La définition même de l’entreprise telle qu’elle est inscrite dans notre droit est remise en question.

 

D’un autre côté, le secteur non-lucratif touche parfois à ses limites dans un contexte économique particulièrement difficile. Pour certains, les obligations, qui l’encadrent, brident l’innovation et empêchent l’émergence de solutions nouvelles.

 

De nouveaux modèles d’entreprises émergent pour préparer l’avenir et répondre à ces défis. Ils ébranlent au passage les idées préconçues que nous pouvions avoir sur les entreprises commerciales et leur finalité. En voici quelques exemples.

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Tribune de Virginie Seghers et Xavier Delsol.

Horst Brandstätter, créateur des Playmobil, a légué ses actions à une fondation. Un cas de moins en moins rare dans le monde entrepreneurial, constatent Xavier Delsol et Virginie Seghers.

> Lire la tribune à ce lien

Après l’attaque de Charlie Hebdo, soutenir la presse et le pluralisme.

 

L’attaque de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, a profondément marqué les esprits rappelant tragiquement l’importance de la liberté de la presse et de son pluralisme. Au moment de l’attaque, le journal était en difficulté financière. Il a depuis reçu un soutien important sous forme de dons, principalement par l’intermédiaire de l’Association Presse et Pluralisme, et sous forme d’abonnements. Charlie Hebdo est cependant une entreprise de presse de forme capitaliste, elle distribue des dividendes et s’acquitte des impôts sur les bénéfices. Nous revenons sur les implications fiscales des dons faits à Charlie Hebdo, mais aussi plus largement sur les amendements visant à soutenir les journaux en difficultés en cours d’adoption dans le cadre du projet de loi pour la moderniser le secteur de la presse.

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Le Global Philanthropy Environment Index 2022 est une étude comparative qui fait partie des rapports mondiaux les plus complets sur les environnements philanthropiques entre les pays. Sur la base de 6 grands points d’analyse, allant des incitations fiscales jusqu’à l’environnement politique du pays, elle propose une comparaison des facteurs qui facilitent ou restreignent l’expression de la générosité privée dans 91 économies.

Retrouvez la présentation et échange avec Charles Sellen, chercheur sur la philanthropie, affilié aux universités de Montréal et d’Ottawa, et docteur en économie, qui a contribué à sa réalisation.

 

[Podcast] Le Think Tank de la philanthropie · Le « Global Philanthropy Environment Index 2022 » présenté par Charles Sellen

Pour découvrir le rapport comparatif GPEI 2022 :
scholarworks.iupui.edu/handle/1805/28098

Le 15 septembre 2014 marque le coup d’envoi d’une activité porteuse d’un grand espoir aussi bien pour les pays développés que pour les pays émergents. Ce jour-là a été remis à son commanditaire David Cameron quand il présidait le G8, le rapport de synthèse des travaux effectués par les groupes de travail nationaux de sept pays, plus l’Australie et de quatre groupes de travail transversaux réunis sous la conduite de Sir Ronald Cohen, naguère champion incontesté du capital-risque, aujourd’hui promoteur éclairé de l’investissement à impact ». Comme ce dernier l’indique en préambule au rapport, cette nouvelle forme d’investissement « attèle les forces de l’entrepreneuriat, de l’innovation et du capital à la capacité des marchés à faire le bien. On pourrait légitimement dire qu’elle permet au cœur invisible des marchés de guider leur main invisible ».

Aujourd’hui encore une activité de niche, demain sans doute une activité à spectre étendu, l’investissement à impact trouve sa place entre l’investissement dit socialement responsable et la philanthropie. Il ne s’agit ni de dons à des organismes œuvrant pour le bien commun, ni de placements en titres de sociétés matures soucieuses de développement durable, il s’agit du financement, aux différents stades de leur parcours, d’initiatives se fixant comme objectif de créer un impact social ou environnemental quantifiable tout en assurant leur pérennité soit par leur statut (entreprises sociales et solidaires) soit par leur profitabilité (entreprises de droit commun ou adapté). Ainsi présenté, l’investissement à impact représente un « chaînon manquant » entre l’efficacité financière et l’efficience sociétale. Son essor devrait être favorisé d’abord par l’impécuniosité des bailleurs de fonds traditionnels que sont les collectivités publiques , ensuite par la volonté des jeunes générations de mettre leurs talents au service d’activités porteuses de sens, enfin par la créativité prodigieuse des entrepreneurs sociaux.

Et les capitaux ? 800 000 salariés français participent déjà à cette forme d’investissement en souscrivant aux fonds communs de placement dits « solidaires », dont un peu moins de 10% des capitaux sont orientés vers des structures à impact. Le succès rapide de cette offre représente un gage d’avenir. Il est non moins clair, comme en témoigne l’intérêt manifesté par de nombreuses banques, que l’investissement à impact représente une diversification stimulante pour les portefeuilles de leurs clients fortunés. Le succès du concept a été immédiat auprès des 120 donateurs-milliardaires du Giving Pledge lancé par Bill Gates et Warren Buffett. Il intéresse aussi les fondations et les fonds de pension, à condition de pouvoir ainsi diversifier leurs actifs, ce qui est loin d’être le cas dans tous les pays du G8, à commencer par la France. Cette nouvelle forme d’investissement est l’affaire de tout le monde, elle transcende les barrières politiques et combat, comme l’a récemment déclaré le pape François, « une économie qui exclut et rejette ».

De quoi s’agit-il ?

 

Face à la crise que subit la philanthropie française, un regard dans le passé s’impose. Les vertus éclairantes de l’histoire et leur analyse sont autant d’atouts dont il serait dommageable d’ignorer. Plongée dans les fondements idéologiques de la philanthropie.

 

Pour rappel, sous l’Ancien Régime, l’œuvre philanthropique était le propre de l’Eglise catholique et des institutions ecclésiastiques, et le fait de la noblesse, donateurs à ces institutions. C’est à la Révolution française, que la situation a changé.

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Sous prétexte d’éventuelles distorsions de concurrence entre le secteur privé et les OBSL, le Gouvernement risque d’être tenté de remettre en cause les régimes dérogatoires des OBSL, alors même que de nombreuses améliorations pourraient encore leur être apportées.

Le régime fiscal des organismes sans but lucratif (OBSL) est à nouveau sur la sellette. Cette fois, c’est sous l’angle des éventuelles distorsions de concurrence entre le secteur privé et le secteur associatif. La menace vient du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a adressé, le 29 avril dernier, une lettre de mission d’analyse et de propositions sur la situation du secteur privé à but non lucratif aux députés Régis Juanico, Jérôme Guedj, Laurent Grandguillaume et Yves Blein. Leur rapport est attendu début septembre.

L’intérêt des pouvoirs publics pour le secteur des OBSL est patent au regard des économies fiscales qu’ils pourraient y trouver. Les travaux se succèdent à un rythme soutenu. La question de la territorialité des dons est en effet toujours à l’étude, le projet d’instruction de Bercy ayant reçu de très nombreuses objections du secteur associatif.

Les OBSL dans la ligne de mire de pouvoirs publics

A cet égard, le rapport de Gilles Bachelier, remis au Gouvernement en février et rendu public en juillet (1), pourrait clore le débat qui oppose l’administration fiscale et le secteur et combler un vide juridique inacceptable.

Le conseiller d’Etat conclut que la doctrine envisagée par Bercy ajoute à la loi et à la jurisprudence communautaire, de façon incompatible avec le principe de la liberté de circulation des capitaux. « Le bénéfice du régime fiscal du mécénat ne peut être subordonné à l’exercice d’une activité éligible en France », rappelle le conseiller d’Etat. « Cette position est la transposition pure et simple de l’arrêt Persche », se réjouit Stéphane Couchoux, avocat associé, responsable du secteur Mécénat & Fondations pour FIDAL.

De plus, pour les organismes exerçant leur action en dehors de l’UE ou de l’EEE, le rapport propose que le don soit éligible au regard de trois grands domaines d’action : l’humanitaire, la mise en valeur du patrimoine et de la culture française et, ce qui serait nouveau, la protection de l’environnement. L’éligibilité des actions conduites serait soumise à agrément, délivré pour 5 ans. Des dispenses d’agrément pourraient être prévues notamment pour les actions humanitaires entreprises d’urgence en raison de grandes catastrophes. Pour Stéphane Couchoux, « le rapport plaide pour une éligibilité élargie mais encadrée, les organismes devant être à même de démontrer qu’ils respectent des règles de territorialité », résume l’avocat. « Il semblerait que nous ayons été entendus, se félicite, Bernard Monassier, notaire à Paris, président honoraire du Groupe Monassier. Notre mobilisation a porté ses fruits ».

Autre point très positif : si le rapport Bachelier souligne le coût croissant des dispositifs d’incitation fiscale à la générosité du public, il souligne corrélativement la croissance des dons rappelant, s’il en était besoin, que « les organismes d’intérêt général conduisent des actions que l’Etat n’est plus en mesure d’assumer directement et qui demeurent essentielles tant elles contribuent au maintien de la cohésion du corps social alors que la crise économique aggrave les motifs d’exclusion des populations placées en situation de fragilité ». Pour Bernard Monassier, « les pouvoirs publics n’ont actuellement pas les moyens de prendre le relais de l’initiative privée. Cet aspect essentiel doit être dans tous les esprits lorsque le débat sur l’opportunité de la déductibilité fiscale des dons ressurgit », conclut le notaire. D’autant que, comme le rappelle Xavier Delsol, avocat associé du cabinet Delsol avocats, fondateur du Département « Organisations non lucratives » et de la revue Juris-Associations, « ce principe de déductibilité fiscale (ou réduction d’impôt) ne correspond en aucun cas à une « niche fiscale » mais seulement à la possibilité pour le donateur de choisir lui-même, partiellement et à condition d’ajouter un montant supplémentaire, l’affectation d’une partie de son impôt à des œuvres d’intérêt général ».

La remise à plat du régime fiscal des associations 

Le rapport commandé par le Premier ministre aux parlementaires pourrait aboutir à la remise à plat du régime fiscal des associations. Pourtant, bien que perfectible, le régime actuel issu de l’instruction du 15 septembre 1998 emporte l’adhésion. Il a mis fin à une vague de contrôles fiscaux et a clarifié la position des associations via notamment une vaste campagne de questionnaires fiscaux adressés au correspondant Associations des Directions des Services fiscaux compétentes.

Huit ans après, le 19 décembre 2006, Bercy a publié une nouvelle instruction afin d’actualiser sa position après des demandes de précisions émanant du Conseil National de la Vie Associative (CNVA). « La doctrine administrative a été encore affinée par la jurisprudence et aujourd’hui, l’on s’accorde à en trouver les règles équilibrées et pertinentes », indique Xavier Delsol.

Dans un tel contexte, est-il nécessaire de remettre à plat le régime des OBSL ? C’est la mise en place, le 1er janvier 2013, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), avantage fiscal dont sont exclues les OBSL, qui a relancé le débat. « Cela revient à ouvrir la boite de Pandore, craint Philippe-Henri Dutheil, Avocat associé, EY société d’avocats, responsable national du secteur OSBL. Le texte actuel, tout à fait adapté à la réalité des OBSL, ne soulève que des problèmes d’interprétation à la marge. Les contentieux se sont raréfiés ». Sur ces questions de fiscalité, les professionnels du secteur s’accordent à dire que les rapports entre le milieu associatif et l’administration se sont nettement normalisés.

Les pistes de réforme du Think Tank

Reste que l’instauration du CICE soulève une vraie question, selon Philippe-Henri Dutheil : « Comment faire pour que les associations en dehors du champ des impôts commerciaux ne soient pas moins bien traités que les acteurs du secteur marchand ? » De nombreuses pistes sont possibles. « En matière de taxe des salaires par exemple, au simple relèvement de seuil, il serait préférable d’envisager un relèvement de seuil et d’abattement par entités économiques propres et non pas par structures juridiques, une solution plus équitable que la règle actuelle », estime l’avocat.

En outre, la notion d’« activité lucrative » n’est pas toujours assez claire, de nombreuses associations ont du mal à appréhender le critère d’ activité « significativement prépondérante», plus complexe à appréhender que celui d’un seuil de 50 % d’activités lucratives ou non lucratives et qui mériterait d’être précisée.

Enfin, il serait opportun que la mission étudie les fameux liens entre les trois impôts commerciaux (IS, TVA et CET) de façon à les déconnecter les uns des autres. Quelle est la logique juridique qui lie l’assujettissement à la TVA, qui tient compte de la nature de l’opération à l’assujettissement à la CET et à l’IS qui tiennent compte de l’opérateur économique qui va supporter l’impôt ? L’administration opère un lien inexistant dans le Code général des impôts. Or, de nombreuses associations se trouvent limitées par ce lien artificiel.

Une pratique administrative qui limite la portée de la loi

Si en théorie, la France s’est dotée du régime de mécénat le plus favorable au monde, la pratique est tout autre. « L’administration refuse trop souvent et arbitrairement aux acteurs du secteur l’éligibilité aux différents régimes, pour des raisons parfois incompréhensibles et en tout cas contraires ou trop restrictives par rapport à l’intention du législateur, regrette Xavier Delsol. Un texte clarifiant les critères de Bercy serait bienvenu, au-delà de la seule question de la territorialité évoquée dans le Rapport Bachelier » ajoute-t-il.. « En contrepartie, le secteur non marchand pourrait être rationalisé par plus de transparence et de contrôle des bénéficiaires », avance Bernard Monassier.

« L’administration se refuse à préciser ou à actualiser sa doctrine en matière de mécénat qui remonte pourtant aux années 80 », ajoute Stéphane Couchoux et de poursuivre : « La France a changé depuis les années 80 ; une remise à plat des conditions d’application du dispositif mécénat est nécessaire au regard des enjeux sociétaux et des crises actuels. C’est à un véritable état des lieux socio-économique auquel il faudrait se livrer pour que le dispositif du mécénat réponde aux questions d’intérêt général. Ce serait une grave erreur que Bercy s’arqueboutte sur les seules considérations budgétaires pour définir ce dispositif ».

(1) Les règles de territorialité du régime fiscal du mécénat, Gilles Bachelier, février 2013

De quoi s’agit-il ?

 

Historiquement, le Ministère de l’Intérieur, comme d’ailleurs le Conseil d’Etat, estimait que le caractère d’intérêt général interdisait à une fondation de détenir tout ou partie du capital d’une société à but économique, même si ses produits étaient réinjectés dans des activités d’intérêt général.

La loi n° 2005-882 du 22 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises dite loi Dutreil, a crée une petite révolution en rendant possible la détention de parts de sociétés commerciales par une fondation d’intérêt public. Cette évolution, issue d’un amendement parlementaire avait comme finalité d’éviter la dislocation de petites entreprises lors des successions et de réconcilier utilité publique et choix entreprenerial. Le cadre législatif de la fondation actionnaire est donc réservé aux cessions et transmissions d’entreprises excluant une création d’entreprise donc l’actionnariat serait détenu par une fondation.

Si très vite une première fondation a vu le jour – la fondation Pierre Fabre –, le modèle de la fondation actionnaire s’est très peu développé en France, contrairement à son équivalent allemand, florissant.

 

Les avis du Think Tank

 

Béatrice Garette :

Très tôt, à la suite d’un déplacement très marquant en Afrique subsaharienne francophone, Pierre Fabre, a souhaité que son entreprise, Les Laboratoires Pierre Fabre, adopte une démarche citoyenne. Dès avril 1999, il crée une fondation, reconnue dans la foulée fondation d’utilité publique. Il dote cette fondation d’une somme confortable en numéraire ainsi que de 5% des actions du groupe. Peu à peu nait dans son esprit un projet apte à assurer la pérennité de son œuvre philanthropique et de son entreprise : « une entreprise détenue par ses salariés et par une Fondation dans des proportions qui la mettent à l’abri des surprises spéculatives ».

A cette fin, Pierre Fabre organise l’actionnariat de l’entreprise de façon à garantir sa pérennité et son indépendance. Un plan volontariste d’actionnariat-salarié lancé en 2005 permet à la très grande majorité des collaborateurs de devenir actionnaires. En 2011, 91% des salariés pouvant bénéficier du plan étaient actionnaires, détenant 6,7% du capital de l’entreprise. Et en 2008, il fait don du capital de l’entreprise à la Fondation Pierre Fabre. Ce don a été accepté officiellement le 29 septembre 2008 par l’Etat, comme le prévoit la loi. La Fondation Pierre Fabre, reconnue d’utilité publique, est ainsi devenue l’actionnaire de référence de l’entreprise à hauteur de 65%. Dernière étape, à la mort de Pierre Fabre en juillet dernier, en l’absence d’héritiers directs, il lègue les dernières actions qu’il avait conservées à la Fondation.

 

La Fondation reste focalisée sur sa mission à savoir « l’amélioration de la qualité des médicaments et des soins dispensés dans les pays les moins avancés ». De par son statut de fondation reconnue d’utilité publique, elle ne peut pas détenir directement les actions du groupe Pierre Fabre et assurer la gestion opérationnelle de celui-ci. La détention s’opère via la holding Pierre Fabre Participations, chargée d’assurer une mission générale de continuité, c’est-à-dire de veiller au maintien de la pérennité de toutes les activités du groupe dans le respect de ses valeurs, de son indépendance capitalistique et de ses implantations régionales.

Les collaborateurs sont sensibles au fait qu’une part du fruit de leur travail nourrit des projets d’intérêt général, cela crée une culture d’entreprise particulière au sein du groupe et permet de faire perdurer les valeurs humanistes du fondateur. Ce modèle n’est pas encore très connu, cependant nous avons été récemment contactés par une entreprise porteuse d’un projet similaire et souhaitant avoir notre retour d’expérience.

 

Yannick Blanc :

J’étais chef du bureau des groupes et associations au ministère de l’intérieur lors du vote de la loi Dutreil du 22 août 2005 qui a créé le cadre légal actuel de la fondation actionnaire. J’ai commencé à m’intéresser au sujet lorsque le propriétaire du journal La Montagne a souhaité léguer ses parts à la Fondation Varenne. Si dans les textes, rien ne l’interdisait expressément, la position du Conseil d’Etat était assez défavorable, estimant que la détention de parts de sociétés commerciales par une fondation reconnue d’utilité publique (FRUP) contrevenait au principe de spécialité à la personne morale. Si détenir des parts des actions comme n’importe quel autre type d’actif mobilier ou immobilier était bien entendu possible, la situation devenait plus compliquée lorsque la fondation devenait actionnaire de référence car elle devait alors nommer un représentant au conseil d’administration de l’entreprise.

Pour une entreprise de presse, dans la mesure où la liberté de la presse relève manifestement de l’intérêt général, la difficulté était moindre. À l’origine de la loi Dutreil, on trouve l’amendement porté par le député du Tarn Bernard Caraillon, qui appuyait le projet de Pierre Fabre et qui permettait au Groupe de se maintenir dans la région et de préserver son développement économique. La Fondation agissait en l’espèce dans un domaine cohérent avec celui de l’entreprise mais indiscutablement d’intérêt général : la lutte contre la contrefaçon de médicaments en Afrique. Il en est de même pour la Fondation Mérieux qui a porté un projet similaire un peu plus tard dans le domaine de la vaccination.

Ce modèle ne se développe pas plus avant parce que les entrepreneurs et leurs héritiers ont été découragés par la jurisprudence très sévère du Conseil d’Etat qui a cristallisé les peurs. Dans l’affaire Fondation des Treilles, à la suite d’un conflit opposant les héritiers Shlumberger aux héritiers Seydoux, un membre du Conseil d’Etat mandaté comme médiateur a en effet fait voter par le Conseil d’Administration l’exclusion des héritiers Shlumberger, une décision validée par la suite par la haute juridiction. L’idée que les fondateurs ou les héritiers puissent être pour ainsi dire expropriés a eu un retentissement considérable dans le monde des fondations. Plus grave encore, le Conseil d’Etat exige désormais que pour que la fondation conserve son caractère d’intérêt général, son fondateur n’en possède pas plus de 30 %.

 

Xavier Delsol :

Les résistances identifiées participent à mon sens d’une vision un peu désuète et archaïque de la notion d’intérêt général. Le spectre de la faillite est régulièrement agité : que deviendrait une fondation détenue par une entreprise en difficulté ? Un risque somme toute hypothétique et dont l’occurrence s’avère rarissime.

Autre fantasme tout aussi dépassé : le fait de détenir des parts d’une société commerciale changerait la nature même de la fondation. Rappelons qu’avant la parution de l’instruction de 1998, beaucoup tenaient le même discours à propos des associations détenant des participations majoritaires dans des sociétés commerciales arguant qu’elles allaient y perdre leur âme. Refuse à une fondation de détenir des participations majoritaires dans des sociétés commerciales, revient à confondre la fin et les moyens. Pourtant il est possible de tenir le raisonnement inverse et d’imaginer que la fin (l’œuvre de la fondation) contamine de façon vertueuse les moyens (l’activité de l’entreprise).

Même si cela concerne encore peu d’acteurs, il s’agit d’un sujet de fond qui porte une certaine vision de la philanthropie. En outre, le modèle intéresse les entreprises. Si peu de dirigeants s’avèrent prêts à transmettre la totalité de leurs parts ou actions à une fondation, je rencontre régulièrement des clients qui envisagent des donations significatives.

 

Bernard Monassier :

Il est utile au débat de rappeler que dans le cadre du vote de la loi Dutreil, l’amendement porté en faveur de la fondation Pierre Fabre a peu séduit les députés, qui étaient plutôt contre ce type de modèle de fondation actionnaire. La position actuelle du Conseil d’Etat et de nos députés s’expliquent de façon historique. Elle correspond à une certaine idée de la République. Le 2 novembre 1789 l’Assemblée constituante vote la nationalisation des biens d’église. L’historien Jules Michelet dans son ouvrage La Révolution Française résume en ces termes l’esprit des constituants : « L’Eglise morte n’a pas d’héritiers. A qui revient son patrimoine ? A son auteur. A la Patrie ». La possession de ces biens faisait de l’Eglise une puissance économique de tout premier ordre. La République ne pouvait pas laisser passer l’occasion d’affaiblir un adversaire de taille et renforcer ainsi le centralisme naissant de la nation. Les réflexes actuels sont issus de cette conception. L’intérêt général relève de l’Etat, est porté par l’Etat et non par « d’obscures puissances économiques ».

De quoi s’agit-il ?

 

Sous prétexte d’éventuelles distorsions de concurrence entre le secteur privé et les OSBL, le Gouvernement risque d’être tenté de remettre en cause les régimes dérogatoires des, alors même que de nombreuses améliorations pourraient encore leur être apportées.

 

Le régime fiscal des organismes sans but lucratif (OSBL) est à nouveau sur la sellette. Cette fois, c’est sous l’angle des éventuelles distorsions de concurrence entre le secteur privé et le secteur associatif. La menace vient du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a adressé, le 29 avril 2013, une lettre de mission d’analyse et de propositions sur la situation du secteur privé à but non lucratif aux députés Régis Juanico, Jérôme Guedj, Laurent Grandguillaume et Yves Blein. Leur rapport est attendu début septembre.

 

L’intérêt des pouvoirs publics pour le secteur des OSBL est patent au regard des économies fiscales qu’ils pourraient y trouver. Les travaux se succèdent à un rythme soutenu. La question de la territorialité des dons est en effet toujours à l’étude, le projet d’instruction de Bercy ayant reçu de très nombreuses objections du secteur associatif.

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